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L’œuvre de Berlioz n’est pas l’œuvre d’une vie qui se développe largement, mais de quelques années de vie : ce n’est pas le cours d’un grand fleuve, comme Wagner ou Beethoven : c’est une explosion de génie, dont les flammes éclairent le ciel tout entier, un instant, et s’éteignent peu à peu dans la nuit[1]. Tâchons de décrire ce prodigieux météore.

Certaines des qualités musicales de Berlioz sont si éclatantes qu’il n’est pas très nécessaire d’y insister. C’est d’abord son coloris instrumental, qui enivre et qui brûle[2], ces trouvailles extraordinaires de timbres, ces inventions de nuances nouvelles, comme le fameux accouplement des flûtes et des trombones dans le Hostias et preces du Requiem, comme le curieux emploi des sons harmoniques des violons et des harpes, cet orchestre à la fois colossal et vaporeux, s’adaptant aux plus subtils mouvements de la pensée[3]. Qu’on pense à

  1. « Un volcan en éruption », comme le vieux Rouget de Lisle appelait déjà Berlioz, en 1830. (Mémoires, I, 158.)
  2. M. Camille Saint-Saëns a écrit dans Portraits et Souvenirs, 1900 : « Celui qui lit les partitions de Berlioz, sans les avoir entendues, ne peut s’en faire aucune idée ; les instruments paraissent disposés en dépit du sens commun ; il semblerait pour employer l’argot du métier, que cela ne dût pas sonner : et cela sonne merveilleusement. S’il y a peut-être, çà et là, des obscurités dans le style, il n’y en a pas dans l’orchestre ; la lumière l’inonde et s’y joue comme dans les facettes d’un diamant. »
  3. Voir la bonne étude de H. Lavoix, dans son Histoire de l’Instrumentation.

    Il est à noter que les observations de Berlioz, dans son Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes (1844), n’ont pas été perdues pour M. Richard Strauss, qui vient de publier une édition