Requiem, avait adopté des signes sténographiques[1] », il met sept ou huit ans à écrire les Troyens, dans des alternatives de passion et de dégoût, de froideur, de répulsion, dans un doute terrible. Il va à tâtons, vacillant, hésitant. Il se comprend à peine. Il admire les pages les plus médiocres de son œuvre : la scène de Laocoon, le finale du dernier acte des Troyens à Troie, la dernière scène d’Énée des Troyens à Carthage[2]. Les creuses emphases de Spontini se mêlent aux plus hautes inspirations. On peut dire que son génie lui est devenu comme étranger : c’est le travail mécanique d’une force inconsciente, « comme des stalactites dans une grotte humide ». La volonté n’y est pour rien. « Il suffit du temps, si la voûte de la grotte ne s’écroule pas[3]. » S’il écrit les Troyens, c’est beaucoup moins parce qu’il veut les écrire, que parce qu’il l’a voulu autrefois ; on est frappé du désespoir funèbre avec lequel il y travaille : c’est son testament qu’il fait. Et quand il aura fini, tout sera fini pour lui ; son œuvre est achevée, il vivrait cent ans, qu’il n’aurait plus le courage d’y rien ajouter : il ne lui reste plus — et c’est ce qu’il fera — qu’à s’entourer de silence, et à mourir.
Destin lugubre ! Il y a de grands hommes qui survivent à leur génie. Mais, chez Berlioz, c’est le génie qui survit à la volonté : il est là, on le sent dans les pages sublimes du troisième acte des Troyens à Carthage ; mais Berlioz n’y croit plus ; il ne croit plus à rien. Le génie
- ↑ Mémoires, I, 307.
- ↑ À peu près à la même époque, il écrit à Liszt, à propos de son Enfance du Christ : « Je te dirai, à toi, que la véritable trouvaille que j’ai faite, c’est la scène et l’air d’Hérode avec les devins : ceci est d’un grand caractère et qui t’ira, je l’espère. Pour les choses gracieuses qui touchent davantage, à l’exception du duo de Bethléem, je ne crois pas qu’elles aient autant de valeur d’invention. » (17 déc. 1854.)
- ↑ Lettre à Bennet, déjà citée.