les déceptions, les tâches médiocres et humiliantes, l’ont très vite usé ; surtout il se brûle lui-même. « Le croiriez-vous ? écrit-il, vers 1840, à son ami Ferrand. À l’emportement de mes passions musicales a succédé une sorte de sang-froid, de résignation, ou de mépris, en face de ce qui me choque. Il me semble que je descends la montagne avec une terrible rapidité ; la vie est si courte ; je m’aperçois que l’idée de la fin me vient bien souvent depuis quelque temps. » En 1848, à quarante-cinq ans, il écrit dans ses Mémoires : « Je me trouve si vieux, si fatigué, et pauvre d’illusions ». — À quarante-cinq ans, Wagner a patiemment construit sa foi, et pris conscience de sa force. À quarante-cinq ans, Wagner écrit Tristan, et Musique de l’Avenir. Injurié par la critique, inconnu du grand public, « il reste calme, assuré d’être le maître du monde musical dans cinquante ans[1] ».
Berlioz s’est abandonné. La vie a eu raison de lui. Ce n’est pas qu’il ait rien perdu de sa maîtrise artistique. Au contraire. Il fera des œuvres de plus en plus parfaites ; et rien, dans ses compositions antérieures, n’atteint à la pure beauté de certaines pages de l’Enfance du Christ (1850-54), ou des Troyens (1855-63). Mais il perd de sa force, de ses passions, de sa flamme révolutionnaire, de son démon, qui, dans sa jeunesse, suppléait à la foi qui lui manque. Il vit d’ailleurs sur son passé. La Damnation de Faust (1846) était en germe dans les Huit scènes de Faust de 1828. Depuis 1833, il pensait à Béatrice et Bénédict (1862). Quant aux Troyens, inspirés par son adoration d’enfance pour Virgile, il les a portés toute sa vie en lui. Et combien il a de peine à achever sa tâche ! Lui qui n’avait mis que sept mois à écrire Roméo, et qui, « dans l’impossibilité d’écrire assez vite le
- ↑ C’est Berlioz qui l’écrit lui-même, avec ironie, dans une lettre de 1855.