faite seule, sans modèle, sans guide. — Qu’avait-il pu entendre, en dehors des opéras de Gluck et de Spontini, quand il était au Conservatoire ? Lorsqu’il composa l’Ouverture des Francs-Juges, « le nom même de Weber lui était inconnu[1] », et de Beethoven il n’avait encore entendu qu’un andante[2]. — En vérité, il est un miracle, le phénomène le plus prodigieux de l’histoire de la musique au xixe siècle. Sa grandeur audacieuse domine toute son époque ; et, — en face de ce génie, qui renouvelle en quelques coups de tonnerre le monde de la musique, — qui ne ratifierait le jugement de Paganini, saluant en lui le seul héritier de Beethoven[3], et qui ne voit la pauvre figure que fait le jeune Wagner, musicien convaincu, laborieux, et médiocre ?… Mais Wagner aura tôt fait de prendre sa revanche : car il sait ce qu’il veut ; et il le veut opiniâtrement.
L’apogée du génie de Berlioz est à trente-cinq ans, avec le Requiem et Roméo. Ce sont les deux œuvres capitales de sa vie, deux œuvres que l’on peut estimer — et que, pour ma part, j’estime — fort inégalement (car autant l’une m’est chère, autant l’autre m’est antipathique) ; mais toutes deux ouvrent à l’art deux larges routes nouvelles, toutes deux sont posées comme deux arches gigantesques sur la voie triomphale de la révolution que Berlioz inaugure en musique. — Je reviendrai plus loin sur ces deux œuvres.
Mais déjà Berlioz vieillit. Les soucis journaliers, les orages de la vie domestique[4], les déboires, les passions,
- ↑ Mémoires, I, 70.
- ↑ Ibid. — En revanche, dès 1829, il publie une Notice biographique sur Beethoven, dont les appréciations sont remarquablement en avance sur l’époque. Il y écrit que la Symphonie avec chœurs est « le point culminant du génie de Beethoven », et il parle du quatuor en ut dièse mineur, d’une façon pénétrante.
- ↑ Beethoven meurt en 1827, l’année où Berlioz écrit sa première grande œuvre, l’Ouverture des Francs-Juges.
- ↑ Il quitte Henriette Smithson en 1842. Elle meurt en 1854.