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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

Pour obéir à son père, il commence sa médecine à Paris. Un soir, il entend les Danaïdes de Salieri. C’est un coup de tonnerre. Il court à la bibliothèque du Conservatoire lire les partitions de Gluck : « il en oublie le boire et le manger ; il en délire ». Une représentation d’Iphigénie en Tauride l’achève. Il entre chez Lesueur, puis au Conservatoire. L’année suivante, il a composé les Francs-Juges (1827) ; deux ans après, les Huit scènes de Faust (1828), qui seront le noyau de la future Damnation[1] ; trois ans après, la Symphonie fantastique (commencement de 1830). Et il n’est pas encore prix de Rome ! Ajoutez que déjà, dès 1828, il porte en lui Roméo et Juliette, et qu’il a écrit quelques morceaux de Lelio (1829). Où vit-on jamais en musique débuts aussi foudroyants[2] ? Comparez-leur ceux de Wagner, qui, au même âge, écrit timidement les Fées, Défense d’aimer, Rienzi. Au même âge, — et dix ans plus tard. Car les Fées paraissent en 1833, quand Berlioz a déjà écrit la Fantastique, les Huit scènes de Faust, Lelio, Harold ; et Rienzi n’est joué qu’en 1842, après Benvenuto (1835), le Requiem (1837), Roméo (1839), la Symphonie funèbre et triomphale (1840), c’est-à-dire quand Berlioz a achevé toutes ses grandes œuvres, quand il a accompli toute sa révolution musicale. Et cette révolution, il l’a

  1. Les Huit scènes de Faust, « tragédie de Gœthe, traduite par Gérard de Nerval », comprennent : 1. Les Chants de la fête de Pâques ; 2. les Paysans sous les tilleuls ; 3. le Concert des Sylphes ; 4 et 5. la Taverne d’Auerbach, avec les deux chansons du Rat et de la Puce ; 6. la Chanson du roi de Thulé ; 7. la Romance de Marguerite : « D’amour, l’ardente flamme », et le Chœur de soldats ; 8. la Sérénade de Méphistophélès, — c’est-à-dire les pages les plus célèbres et les plus caractéristiques de la Damnation. — Voir les études de M. J.-G. Prod homme, sur le Cycle de Berlioz (éditions du Mercure de France).
  2. On ne saurait trouver un calque plus transparent de l’âme d’un génie adolescent que certaines lettres de cette époque, en particulier que la lettre du 28 juin 1828 à Ferrand, avec son post-scriptum fiévreux. Quelle vie riche, fine, forte, débordante ! Et, avec des fautes de style, quelle touche délicate ! C’est une joie de lire cela. On boit aux sources mêmes de la vie.