crains pas de le dire, que toute la musique française de son siècle. Je comprendrais encore qu’on le discutât au pays de Beethoven et de Bach. Mais, chez nous, qu’a-t-on à lui opposer ? Gluck fut un bien plus grand homme. Et aussi César Franck. Ils ne furent jamais des génies de sa taille. Si le génie est la force créatrice, je n’en vois de cette trempe pas plus de quatre ou cinq dans le monde ; et quand j’ai nommé Beethoven, Mozart, Bach, Haendel et Wagner, je ne lui connais dans l’art musical pas un supérieur, et même pas un égal.
Il n’est pas un musicien, il est la musique même. Il ne commande pas à son démon ; il est vraiment sa proie. Qui a lu ses écrits sait comment il était terrassé, ravagé, dévasté par l’émotion musicale. Ce sont de vraies crises d’extase ou de convulsions. D’abord, « une agitation étrange dans la circulation du sang. les artères battent avec violence ; les larmes coulent abondamment. Puis viennent des contractions spasmodiques des muscles, un tremblement de tous les membres, un engourdissement total des pieds et des mains, une paralysie partielle des nerfs de la vision et de l’ouïe : il ne voit plus, il n’entend plus ; vertige, demi-évanouissement. » Et, dans le cas où la musique lui déplaît, au contraire, c’est « un soulèvement général, un effort d’excrétion de tout l’organisme, le vomissement[1]. »
Ce caractère de possédé musical se manifeste bien à la soudaine explosion de son génie[2]. Sa famille s’oppose à ce qu’il soit musicien ; et jusqu’à vingt-deux ou vingt-trois ans, sa faible volonté se soumet en grondant.
- ↑ À travers chants, pp. 8, 9.
- ↑ À la vérité, ce génie couvait depuis l’enfance ; dès le premier instant, il fut lui-même tout entier, on en a la preuve dans ce fait qu’il reprit, pour son Ouverture des Francs-Juges et pour la Symphonie fantastique, des romances et des phrases de quintettes écrite à douze ans. (Mémoires, I, 16 et 18.)