auréole de bonheur, — Wagner, triste, souffrant, doutant de ses efforts, sentant l’inanité de son âpre combat contre la médiocrité du monde, « fuyait loin du monde[1] », se jetait dans la foi, et disait à un ami, qui le regardait avec surprise disant à table ses prières : « Oui, je crois, je crois en mon Sauveur[2] ! »
Pauvres gens ! les vainqueurs du monde ! Si vaincus et brisés !
Mais, de ces deux morts, combien plus douloureuse, celle de l’artiste qui ne croit pas, et qui n’a pas assez de force et de stoïcisme pour ne pas croire, — qui agonise lentement dans cette petite chambre de la rue de Calais, parmi les bruits odieux de Paris indifférent ou hostile[3], — qui s’enferme dans un silence farouche, — qui ne voit pas, à son dernier moment, se pencher sur lui le visage d’un être aimé, — et qui n’a même pas la consolation de croire à son œuvre[4], de contempler avec calme le travail accompli, d’embrasser fièrement du regard le chemin parcouru, et de se reposer avec confiance sur le
- ↑ « Oui, c’est à la fuite loin du monde, que Parsifal doit sa naissance et sa croissance ! Quel homme, pendant toute une vie, peut, de gaieté de cœur et de sens rassis, plonger son regard au fond de ce monde de meurtre et de rapine organisés et légalisés par le mensonge, l’imposture et l’hypocrisie, sans être obligé parfois d’en détourner sa vue en frissonnant de dégoût ? » (Wagner, les Représentations du drame sacré Parsifal à Bayreuth, en 1882, trad. Camille Benoit.)
- ↑ La scène m’a été racontée par son amie, Malwida von Meysenbug, la libre et sereine auteur des Mémoires d’une Idéaliste.
- ↑ « … Je n’ai que des murs devant mes fenêtres. Du côté de la
rue, un roquet aboie depuis une heure, un perroquet glapit, une
perruche contrefait le cri des moineaux. Du côté de la cour, chantent
des blanchisseuses, et un autre perroquet crie sans relâche :
Portez arrm !… La journée est bien longue !… » (Lettre à Ferrand,
Lettres intimes, 269.)
« … Le sot bruit de voitures secoue le silence de la nuit. Paris humide et boueux ! Paris parisien !… Voilà que tout se tait,… il dort du sommeil de l’injuste !… » (A Ferrand, Lettres intimes, 302.)
- ↑ Il disait que rien ne resterait de son œuvre, qu’il s’était trompé, qu’il aurait voulu brûler ses partitions.