ma demeure. J’y vais souvent, j’y ai beaucoup de relations… Avant-hier, j’ai passé deux heures au cimetière, j’y avais trouvé un siège très confortable sur une tombe somptueuse, et je m’y suis endormi… Paris est pour moi un cimetière, ses pavés sont pour moi des pierres tumulaires. Partout je trouve des souvenirs d’amis ou d’ennemis qui sont morts… Je ne fais rien que supporter mes incessantes douleurs et mon insondable ennui. Je me demande nuit et jour si je mourrai avec de grandes douleurs, ou avec peu de douleurs ; car quant à mourir sans douleur, je ne suis pas assez fou pour l’espérer… Pourquoi ne sommes-nous pas encore morts[1] ?
Sa musique est aussi claire que ces lugubres paroles, et plus terrible encore, plus morne : elle souffle la mort[2]. Contraste poignant : une âme ivre de vie, et minée par la mort. C’est ce qui fait le terrible sérieux et le tragique de cette vie. Wagner, rencontrant Berlioz, pousse un soupir de soulagement : il a enfin trouvé un homme plus malheureux que lui[3] !…
Alors, au seuil de la mort, seul, il se tourne avec désespoir vers l’unique lumière qui lui reste, Stella mordis, le souvenir de son amour d’enfance, Estelle, maintenant vieille, grand’mère, flétrie par l’âge et par les deuils. Il fait le pèlerinage de Meylan, près de Grenoble, pour la revoir. Il a soixante-et-un ans, elle en a près de soixante-dix. « Le passé ! le passé ! le temps !… Jamais ! jamais ![4] ».
Et pourtant, il veut l’aimer, il l’aime d’un amour éperdu. — Oh ! que cela est douloureux ! Que l’on a peu envie de sourire, quand on lit au fond de ce cœur désolé !
- ↑ Lettres à la princesse de Wittgenstein, du 22 janvier 1859, 30 août 1864, du 13 juillet 1806, — et à A. Morel, du 21 août 1864.
- ↑
« … Qui viderit illas
De lacryms foscas sentiet esse meis »,
écrit-il, comme devise à ses Tristes de 1854. - ↑ « Chacun reconnut tout à coup dans l’autre un compagnon d’infortune, et je me trouvai plus heureux que Berlioz. » (Wagner à Liszt, 5 juillet 1855.)
- ↑ Mémoires, II, p. 396.