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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

détriment de Gluck, que la jeune critique, à l’exemple de M. Debussy, houspilla rudement[1]. — Il vint même un moment où la Schola, prenant décidément parti dans l’action, par la voix de M. Charles Bordes, lança un manifeste — un Credo, comme elle disait — d’un art nouveau, fondé sur les lointaines traditions de la musique française :

Nous voulons, disait-elle, le discours libre dans la musique libre, la mélopée continue, la variation infinie, la liberté en un mot de la phrase musicale. Nous voulons le triomphe de la musique naturelle, libre et mouvante comme le discours, plastique et rythmique comme la danse antique.

C’était la guerre déclarée à l’art métrique des trois derniers siècles, au nom de la tradition nationale (plus ou moins librement choisie et interprétée), au nom de la chanson populaire et du chant grégorien. Et « le souci constant, le but avoué de toute cette campagne, c’était le triomphe de la musique française, et son culte[2] ».

Il y avait dans ce manifeste, qui reflétait à sa façon l’esprit d’un Debussy et de son libre impressionnisme musical, beaucoup de naïveté et quelque intolérance, mais une force d’enthousiasme juvénile, qui répondait aux grands espoirs d’alors, et faisait présager une glorieuse journée, une belle moisson de musique.

Bien peu d’années ont passé, depuis ; mais le ciel n’est déjà plus tout à fait aussi pur ; la lumière est plus trouble. Les espérances n’ont pas été déçues ; mais

  1. Il va sans dire que le génie de Rameau légitimait tous les enthousiasmes ; mais il n’est pas défendu de croire que ces enthousiasmes s’adressaient — au moins autant qu’au génie musical de Rameau — au rôle qu’on lui attribuait de champion de la musique française du passé contre l’art étranger, même quand cet art s’adaptait aux lois du théâtre français, comme l’art de Gluck.
  2. La Tribune de Saint-Gervais, septembre 1903.