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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

semblait terminée ; elle aspirait à voler de ses propres ailes ; et, comme c’est l’éternelle règle dans l’histoire, le premier usage qu’elle faisait de sa force, c’était contre ses maîtres. Cette révolte contre les influences étrangères s’en est prise surtout — il fallait s’y attendre — à la plus forte de ces influences : celle de la musique allemande, qui se personnifiait en Wagner. Deux enquêtes de Revues, faites en 1903 et en 1904, ont mis curieusement en lumière cet état d’esprit : l’enquête de M. Jacques Morland, dans le Mercure de France[1], sur l’Influence de la musique allemande en France, et celle de M. Paul Landormy, dans la Revue Bleue[2], sur l’État actuel de la musique française. La première était un cri de délivrance ; avec un peu d’exagération, et beaucoup d’ingratitude, musiciens et critiques français rejetaient l’influence wagnérienne, comme ayant fait son temps. L’autre enquête était l’exposé des théories de l’école française nouvelle, et sa déclaration d’indépendance.

Déjà, depuis plusieurs années, le chef de la jeune école, M. Claude Debussy, dans ses chroniques de la Revue Blanche et du Gil Blas, donnait l’assaut à l’art wagnérien. Personnalité éminemment française, capricieuse, poétique et spirituelle, d’une intelligence vive, prime-sautière, indépendante, semant les idées neuves et les boutades paradoxales, révisant les jugements des siècles avec l’impertinence gouailleuse d’un gamin de Paris, s’attaquant aux plus grands, aux héros de la musique — à Gluck, à Wagner, à Beethoven, — ne faisant grâce qu’à Bach, à Mozart et à Weber, mais surtout professant hautement ses préférences pour les vieux maîtres français du xviiie siècle, il rappelait à la musique française sa vraie nature et son idéal oublié : la clarté, l’élégante simplicité, le naturel, et par-dessus

  1. Janvier 1903.
  2. Mars et avril 1904.