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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

aujourd’hui, ne faut-il pas toujours aller en Allemagne ? Et quand l’œuvre dramatique de Berlioz a trouvé, grâce à Mottl, à Karlsruhe, puis à Munich, son Bayreuth, quand le merveilleux Benvenuto Cellini est joué dans vingt villes d’Allemagne[1], et regardé comme un chef-d’œuvre par Weingartner ou Richard Strauss, quel est le directeur de théâtre français qui songe seulement à le monter ?

Mais tout cela n’est rien encore. Qu’est-ce que l’amertume de l’insuccès, auprès de la vraie douleur : la Mort ? — Berlioz voit mourir, l’un après l’autre, tous ceux qu’il aime : son père, sa mère, ses sœurs, Henriette Smithson, Marie Recio. Son fils lui reste : Louis Berlioz, capitaine au long cours, un garçon à l’esprit généreux, mais faible, inquiet, mélancolique et troublé, comme lui. — « Il a le malheur de me ressembler en tout. Nous nous aimons comme deux jumeaux[2]. » — « Ah ! mon pauvre Louis ! lui écrit-il, si je ne t’avais pas !… » — Quelques mois après, il apprend que le pauvre louis est mort dans les mers lointaines.

Il est seul[3]. Plus de voix amie ; il n’entend plus que « l’affreux duo chanté à son oreille, pendant l’activité des jours, et au milieu du silence des nuits, par l’isolement et l’ennui[4] ». Il est rongé par la maladie. En 1856,

  1. Voici, à titre documentaire, la liste des villes où a été joué Benvenuto depuis 1879. (Je dois ces renseignements à l’obligeance de M. Victor Chapot, petit-neveu de Berlioz). Ce sont, par ordre alphabétique : Berlin, Brême, Brunswick, Dresde, Francfort-sur-Mein, Fribourg-en-Brisgau, Hambourg, Hanovre, Karlsruhe, Leipzig, Mannheim, Metz, Munich, Prague, Schwerin, Stettin, Strasbourg, Stuttgart, Vienne, Weimar.
  2. Mémoires, II, 420.
  3. « Je ne sais comment Berlioz s’y est pris pour s’isoler de la sorte. Il n’a ni amis, ni partisans, ni le grand soleil du public, ni la douce ombre de l’intimité. » (Liszt à la princesse de Wittgenstein, 16 mai 1861.)
  4. Lettre à Bennet. — « Je m’ennuie !… Je m’ennuie !… » Combien de fois cette triste plainte revient dans ses lettres de la fin ! — « Je sens que je vais mourir… Je m’ennuie d’une façon exorbitante. » (21 août 1868, — six mois avant sa mort.)