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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

velle religion artistique, qui venait de se former, depuis la mort de César Franck, autour de la mémoire de ce grand musicien.

Je n’ai pas à apprécier ici le génie de César Franck ; mais on ne saurait comprendre le mouvement musical parisien, depuis quinze ans, si l’on ne se rendait compte de l’importance de son enseignement. La classe d’orgue au Conservatoire, où Franck succéda, en 1872, à son ancien maître Benoist, fut pendant longtemps, comme le dit M. Vincent d’Indy[1], « le véritable centre des études de composition du Conservatoire. Beaucoup de ses confrères ne consentirent jamais à regarder comme des leurs ce professeur qui avait l’audace de voir dans l’art autre chose qu’un métier lucratif. Et, en effet, César Franck n’était pas des leurs. Ils le lui firent sentir. » Mais les jeunes gens ne s’y trompèrent pas. « À cette époque, c’est-à-dire de 1872 à 1876, les trois cours dits de haute composition musicale étaient donnés par trois professeurs bien peu faits pour cet enseignement : l’un, Victor Massé, compositeur de faciles opéras-comiques, sans nulle entente de la symphonie, et qui, constamment malade, se faisait remplacer dans ses fonctions par un de ses élèves ; l’autre, Henri Reber, musicien vieillot, au jugement étroit et autoritaire ; le troisième enfin, François Bazin, qui n’était pas capable de distinguer dans les fugues de ses élèves une réponse fausse d’une réponse juste, et dont le plus haut titre de gloire est d’avoir écrit le Voyage en Chine. Il n’est donc pas étonnant que le noble enseignement de César Franck, fondé sur Bach et Beethoven, mais admettant aussi tous les élans, toutes les aspirations nouvelles et généreuses,

  1. Les renseignements qui suivent ont été donnés par M. Vincent d’Indy, dans une conférence faite le 20 février 1903 à l’École des Hautes Études sociales, conférence qui est devenue plus tard un chapitre du livre de M. Vincent d’Indy sur César Franck (1906).