volontairement l’a nié, se jette dans les bras de Berlioz, quand il le rencontre à Londres en 1855 ; « il l’embrasse avec fureur, pleure, trépigne ; et, à peine est-il parti, que le Musical World publie les passages de son livre (Oper und Drama), où il éreinte Berlioz de la façon la plus blessante[1] ». En France, le jeune Gounod, doli fabricator Epeus, comme l’appelle Berlioz, lui prodigue les paroles flatteuses, mais passe son temps à reprendre les sujets qu’il traite[2], ou à le supplanter au théâtre. À l’Opéra, on préfère à Berlioz un prince Poniatowski. À l’Académie, il se présente trois fois, battu une première fois par Onslow, une seconde par Clapisson ; à la troisième, il ne réussit qu’à une voix de majorité contre Panseron, Vogel, Leborne, etc., etc., et, comme toujours, Gounod. — Il meurt, avant d’avoir vu apprécier en France la Damnation de Faust, l’œuvre la plus extraordinaire de la musique française. — On la siffle ?… Non pas. « On reste indifférent », c’est Berlioz qui le dit. Elle passe inaperçue ! — Il meurt, avant d’avoir vu jouer, dans leur intégrité, les Troyens, l’œuvre la plus noble du théâtre lyrique français, depuis Gluck[3]… Mais de quoi m’étonné-je ? Pour les entendre
- ↑ Voir la lettre de Berlioz, citée par J. Tiersot, ibid., p. 275.
- ↑ Roméo, Faust, la Nonne sanglante.
- ↑ Je me contente de signaler ici un autre fait, que j’examine dans un autre article, à la fin de ce volume : c’est l’affaiblissement du goût musical en France, et, je croirais volontiers, dans toute l’Europe, depuis 1835 ou 1840. On le voit dans les Mémoires de Berlioz : « Depuis la première exécution de Roméo et Juliette, l’indifférence du public parisien, pour tout ce qui concerne les arts et la littérature, avait fait des progrés incroyables. — (Mémoires, I, 263.) Comparez les cris d’enthousiasme et les larmes qu’arrachent aux dilettantes de 1830 les représentations des opéras italiens, ou des œuvres de Gluck (Mémoires, I, 81 et suiv.), à la froideur qui pénètre le public, entre 1840 et 1870. C’est un manteau de glace qui s’étend sur l’art. Combien Berlioz dut en souffrir ! En Allemagne, la grande génération romantique est morte. Le seul Wagner personnifie la musique, et draine tout ce qui reste d’enthousiasme et d’amour pour la musique, en Europe. Il devient impossible à tout autre de vivre. Berlioz meurt vraiment d’asphyxie.