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LE RENOUVEAU.

années, avec M. Marty, la Société des concerts s’est ouverte plus libéralement aux œuvres nouvelles. L’orchestre, composé d’instrumentistes éminents, jouit d’une antique célébrité. Il n’est pourtant plus unique à Paris, pour l’excellence de ses exécutions ; et peut-être même a-t-il perdu en partie le secret qu’il s’attribuait de l’interprétation des grandes œuvres classiques. Il excelle dans les œuvres d’un caractère néoclassique, qui exigent, comme celles de M. Saint-Saëns, plus de style et de goût que de vie et de passion. Les concerts du Conservatoire gardent aussi sur les autres concerts parisiens la supériorité — relative — des exécutions chorales, si médiocres, jusqu’à présent, à Paris. Ils sont d’ailleurs peu accessibles au grand public, le nombre des places mises en vente au bureau étant très limité. C’est donc le reflet d’un petit public, dont le goût est, en général, conservateur et officiel. Le bruit des luttes du dehors n’y arrive que tardivement, et amorti.

La force du Conservatoire est surtout en musique une force du passé et de gouvernement. On en peut dire autant du théâtre de l’Opéra. Cette antique maison, qui date de 1669, et porte le nom pompeux d’Académie nationale de Musique, est une sorte d’institution nationale, qui intéresse davantage l’histoire de l’art officiel que de l’art vivant. La satire que Jean-Jacques traçait, dans sa Nouvelle Héloïse, de la solennité guindée de ses spectacles et de leur morne éclat, n’a pas perdu grand chose de sa vérité ; mais ce que l’on aurait peine à retrouver dans l’Opéra d’aujourd’hui, c’est lardcur des luttes musicales anciennes, au temps des Encyclopédistes et de la « guerre des coins ». Les grandes batailles de l’art se livrent en dehors. L’Opéra est devenu de plus en phis un fastueux salon, un peu défraîchi, où le public s’intéresse plus à lui-même qu’au spectacle. Malgré les sommes énormes qui s’y engouf-