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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

la vérité. Mozart ne pensait point d’une façon différente : « La musique, disait-il, même dans la situation la plus terrible, ne doit jamais offenser l’oreille, mais là encore la charmer, et enfin rester toujours la musique. »

Quant au langage harmonique de Debussy, son originalité ne consiste pas, comme l’ont dit d’imprudents admirateurs, dans l’invention d’accords nouveaux, mais dans l’emploi nouveau qui en est fait. On n’est pas un grand artiste, parce qu’on fait usage des septièmes et des neuvièmes sans résolution, des enchaînements de neuvièmes et de tierces majeures, des progressions harmoniques fondées sur une gamme par tons entiers, mais par ce qu’on leur fait dire. Il n’est guère de particularités du style de Debussy, qui ne se trouvent, isolées, chez bien des maîtres avant lui, chez Chopin, chez Liszt, chez Chabrier, chez Richard Strauss. Il n’en est pas moins vrai que, chez Debussy, elles sont toujours du Debussy, et que Pelléas et Mélisande, « le pays des neuvièmes », a une atmosphère poétique qui ne ressemble à celle d’aucun autre drame musical avant lui.

Enfin, l’orchestre est volontairement restreint, allégé, divisé ; il a le dédain aristocratique de ces orgies de sons, auxquelles l’art de Wagner nous a habitués ; il est sobre et raffiné, comme une belle phrase classique de la fin du xviie siècle. Ne quid nimis, « Rien de trop » : c’est la devise de l’artiste. Au lieu d’amalgamer les timbres pour des effets de masse, il dégage l’une de l’autre leurs personnalités, ou il les marie délicatement, sans altérer leur nature propre. Comme les peintres impressionnistes de ce temps, il peint par couleurs pures, mais avec une sobriété délicate, que toute rudesse rebute, comme une laideur.