l’avouer toujours. Précisément, dans le même temps, Antoine, Gémier, Guitry, rendaient plus naturelle la déclamation théâtrale : ce qui faisait paraître plus choquante encore et plus archaïque la déclamation outrée de l’opéra français. Une réforme du récitatif était donc inévitable. Dès le xviiie siècle, Jean-Jacques Rousseau l’avait prévue, dans le sens même où l’accomplit Debussy[1]. Il montrait[2] qu’il n’y avait aucun rapport entre les inflexions de la parole française, « dont l’accent est si uni, si simple, si modeste », et « les bruyantes et criardes intonations » du récitatif de l’opéra français. Et il concluait que le meilleur récitatif qui pourrait nous convenir devrait « rouler entre de fort petits intervalles, n’élever ni n’abaisser beaucoup la voix, peu de sons soutenus, jamais d’éclats, encore moins de cris, rien qui ressemble au chant, peu d’inégalité dans la durée ou valeur des notes, ainsi que dans leurs degrés ». — C’est la définition même du récitatif de Debussy.
Le tissu symphonique de Pelléas et Mélisande n’est pas moins différent d’un drame de Wagner. Chez Wagner, c’est un organisme qui se développe tout d’une pièce, un système de phrases entrelacées, dont la puissante végétation pousse des rameaux en tous sens, comme un chêne. Ou, si l’on veut se servir d’une autre comparaison, c’est une peinture, qui sans doute n’est pas exécutée d’une seule coulée, mais qui veut en donner l’impression, et qui, malgré les retouches et les repeints dont elle est surchargée, fait l’effet d’un tout compact, d’un amalgame indestructible, dont il est presque impossible
- ↑ Remarquer d’ailleurs que le goût français résista, pendant toute la première moitié du xviie siècle, à cette déclamation trop théâtrale de l’opéra. « Nos chanteurs, écrit Mersenne, en 1636, s’imaginent que les exclamations et les accents dont les Italiens usent en chantant tiennent trop de la tragédie ou de la comédie ; c’est pourquoi ils ne les veulent pas faire. »
- ↑ Dans la Lettre sur la musique française.