ce qu’on sent, quand on est le plus ému. Les passions se disent à mi-voix. C’est par d’imperceptibles frémissements de la ligne mélodique que se traduit l’amour, qui grandit dans le cœur du couple malheureux, le timide : « Oh ! pourquoi partez-vous ? » de la fin du premier acte, le tranquille : « Je t’aime aussi » de l’avant-dernière scène. Et que l’on compare les sauvages lamentations d’Ysolde mourante à la mort sans cris, sans phrases, de Mélisande[1].
Au point de vue scénique, Pelléas et Mélisande ne s’oppose pas moins à l’idéal de Bayreuth. Les vastes proportions, presque démesurées, du drame wagnérien, sa structure compacte, la tension de volonté qui, du commencement à la fin, soutient ces œuvres énormes, leur idéologie, qui s’étale souvent aux dépens de l’action et même de la passion, sont aussi loin que possible du goût français pour les actions claires, logiques et sobres. Les petits tableaux de Pelléas et Mélisande, brefs, bien découpés, marquant chacun, sans insister, une étape nouvelle dans l’évolution du drame, sont d’une architecture entièrement différente du théâtre wagnérien.
Mais c’est surtout par la façon dont ils conçoivent les rapports respectifs de la poésie et de la musique dans le drame que les deux théâtres diffèrent. Chez Wagner, la musique est le noyau du drame, le foyer rayonnant et le centre attractif : elle absorbe tout, elle est reine absolue. Ce n’est pas là une conception française. Le théâtre musical, tel que nous l’imaginons en France (sinon tel qu’on nous le sert), doit offrir l’harmonie des
- ↑ Comme s’il voulait encore accentuer l’antagonisme, l’auteur de Pelléas et Mélisande écrit, en ce moment, un Tristan, d’après le vieux poème français, dont le texte, récemment restauré par M. Bédier, offre dons sa sérénité et sa mesure hautaine un si merveilleux contraste avec le poème barbare, pédantesque et sublimf de Wagner.