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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

En résumé, ces œuvres font voir qu’en dépit de leurs audaces apparentes Strauss et Mahler sont en voie de faire retraite subrepticement de leurs positions avancées, et de déserter la symphonie à programme. L’œuvre de Strauss, aurait tout à gagner à s’appeler simplement Sinfonia Domestica, sans aucune autre indication : c’est une symphonie régulière ; et il en est de même de celle de Mahler. Strauss et Mahler se rangent : ils reviennent au plan de la symphonie classique.

Mais il y des conclusions plus importantes à tirer d’auditions de ce genre. La première, c’est que le talent de Straus* est de plus en plus exceptionnel dans la musique de son pays. Avec tous ses défauts, qui sont énormes, Strauss est unique, pour sa verve puissante, sa spontanéité indestructible, le privilège de rester jeune, au milieu de l’art allemand qui vieillit ; et sa science et son art grandissent chaque jour. Dans l’ensemble, la musique allemande présente de graves symptômes. Je ne parlerai pas de sa névrose : je crois qu’elle traverse une crise, et qu’elle s’assagira ; je crains du reste qu’une torpeur ne succède à cette surexcitation. — Ce qui est plus inquiétant, c’est que, malgré tout le talent qui y abonde encore, elle a perdu certaines de ses qualités essentielles. Elle n’a presque plus aucun intérêt mélodique. On pourrait chercher dans Strauss, dans Mahler, dans Hugo Wolf, sans trouver une mélodie qui eût une valeur propre et vraiment originale, en dehors de son application à un texte ou à une idée littéraire et de son développement harmonique. — Mais, surtout, la musique allemande perd, de jour en jour, son intimité ; il y en a encore chez Wolf, grâce à l’exceptionnelle infortune de sa vie ; il y en a très peu chez Mahler, malgré