gramme. Et, sans doute, il a raison, s’il veut dire par là que sa musique a une valeur propre, en dehors de tout programme ; mais il n’est pas douteux qu’elle ne soit toujours l’expression d’une Stimmung précise, d’un état d’âme conscient ; et c’est, qu’il le veuille ou non, cette Stimmung qui fait l’intérêt de sa musique, beaucoup plus que sa musique même. Sa personnalité me semble plus intéressante que son art.
C’est souvent le cas en Allemagne : Hugo Wolf en était un exemple. Le cas de Mahler est vraiment curieux. En étudiant ses œuvres, on se convainc qu’il est dans l’Allemagne d’aujourd’hui un des types les plus rares d’une âme concentrée en elle-même, qui sent avec sincérité ; cependant, cette émotion et cette pensée ne parviennent pas à s’exprimer d’une façon vraiment sincère et personnelle ; elles nous arrivent au travers d’un voile de réminiscences, d’une atmosphère classique. La cause en est, je crois, dans le métier que fait Mahler, directeur d’Opéra, et dans la saturation de musique à laquelle il est condamné par ce métier. Rien de mortel pour l’esprit créateur comme le trop de lectures, surtout quand il ne les choisit pas, et qu’il est forcé d’absorber une nourriture excessive, dont la plus grande partie est inassimilable pour lui. En vain Mahler défend sa solitude intérieure : elle est violée par ses pensées étrangères, qui l’assiègent de toutes parts, et qu’au lieu d’écarter, sa conscience de directeur d’orchestre l’oblige à accueillir et même à épouser. D’une activité fébrile, et chargé de lourdes tâches, il travaille sans relâche, et n’a pas le temps de rêver. Mahler ne sera Mahler tout à fait que du jour où il lui sera possible de laisser toutes ses charges administratives, de fermer ses partitions, de se renfermer en soi et d’attendre sans hâte qu’il soit redevenu seul avec lui-même. — À moins qu’il ne soit trop tard.
Sa Cinquième Symphonie, qu’il dirigeait à Strasbourg,