Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

concert lui fût entièrement réservé. Mais, pour pallier sans doute l’effet produit par l’accueil enthousiaste qui devait être fait — et qui fut fait — à cette musique française par une partie du public alsacien, en présence du Statthalter d’Alsace-Lorraine, on avait eu soin d’encadrer les œuvres françaises entre deux œuvres allemandes ; et, en vertu d’un choix que je ne croirai jamais — que personne n’a cru, à Strasbourg, — dicté par des raisons musicales, celle de ces œuvres allemandes qui terminait la soirée était la scène finale des Meistersinger, avec son retentissant couplet de Hans Sachs contre « le mensonge welche et la frivolité welche » (Wälschen Dunst mit wälschen Tand). Cette faute de courtoisie — qui est d’ailleurs un non-sens, lorsqu’on vient de démontrer par ce concert même qu’on ne peut se passer de l’art « welche » — ne mériterait pas d’être relevée, si elle ne me servait encore à prouver aux artistes français qui prennent part à ces fêtes combien regrettable est leur indifférence : jamais cette faute n’eût été commise, s’ils avaient pris soin à l’avance de se faire communiquer le programme, et s’ils y avaient mis leur veto.

Même en laissant de côté ce petit incident, — que je signale pour me faire l’interprète des auditeurs alsaciens qui m’en ont exprimé leur peine, — nos artistes français n’auraient pas dû consentir à laisser représenter uniquement notre musique par une partition mutilée des Béatitudes et par les Impressions d’Italie, de Charpentier, œuvre habile et brillante, mais de second ordre, trop aisément écrasée par le voisinage immédiat d’une des scènes les plus monumentales de Wagner. Si l’on veut instituer une joute entre les deux arts allemand et français, qu’elle soit équitable, je le répète, et qu’on oppose Berlioz à Wagner, ou Debussy à Strauss, et Dukas ou Magnard à Mahler.