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MUSIQUE FRANÇAISE ET MUSIQUE ALLEMANDE.

il n’eût pas été de trop d’opposer à la gloire dont ils jouissent chez eux celle d’un de nos principaux compositeurs.

De plus, on avait chargé M. Chevillard de diriger, non pas une œuvre d’un de nos maîtres récents, comme Debussy ou Dukas, dont il excelle à rendre le style, mais les Béatitudes de Franck, dont il est loin, à mon sens, de comprendre l’esprit. La tendresse mystique de Franck lui échappe ; il met surtout en lumière ce que l’œuvre a de dramatique. Aussi cette exécution des Béatitudes, d’ailleurs fort belle, a laissé une idée inexacte du génie de Franck.

Mais ce qui était inconcevable, et ce qui indigna justement M. Chevillard, c’était qu’on lui donnât à diriger, non pas les Béatitudes, mais une sélection des Béatitudes. Et, à ce propos, je me permettrai de recommander, pour l’avenir, aux artistes français qui seront conviés à de semblables têtes, de ne jamais accepter un programme, les yeux fermés, mais de l’imposer eux-mêmes, ou de refuser leur concours. Si l’on veut faire une place aux musiciens francais dans les Musikfeste allemands, il faut que ce soient les Français qui choisissent les œuvres qui doivent les représenter. Il faut surtout qu’un chef d’orchestre français, que l’on fait venir de Paris pour diriger une œuvre, ne se trouve pas, à son arrivée, en présence d’une partition tronquée, où l’on a fait un choix arbitraire de quelques fragments, dont on n’a même pas respecté l’intégrité[1]. Cela est un manque de respect pour l’art : il faut donner les œuvres comme elles sont, ou point du tout.

Enfin, il eût été convenable que, dans ce festival de trois jours, où l’on avait eu la galanterie de consacrer le premier jour à la musique française, cet unique

  1. On jouait cinq Béatitudes sur huit ; et l’on avait fait des coupures dans la troisième et la huitième.