Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
DON LORENZO PEROSI.

sur Madeleine, qui ne les a pas encore reconnus.

Pourtant ce n’est point le génie dramatique qui me frappe le plus dans l’œuvre de Perosi ; c’est bien davantage je ne sais quel sentiment élégiaqiie qui lui est propre, un don de pure poésie, l’abondance de la sève mélodique. Si profond que soit le sentiment religieux, la musique est souvent la plus forte, et interrompt le drame pour rêver librement. Prenez le beau passage symphonique qui suit l’arrivée de Jésus et de ses amis auprès de Marthe et de Marie, après la mort de leur frère (p. 12 et suiv. du Lazare). Certainement l’orchestre y exprime les regrets, les soupirs, le bercement de la douleur, mêlés de paroles de consolation et de foi, une sorte de marche funèbre alanguie, féminine et chrétienne. Dans la pensée de l’auteur, c’est là un de ces tableaux où il se plaît à dessiner les figures du drame avant de les faire parler. Mais, malgré lui, c’est bien plutôt encore un flot de pure musique, où son âme souriante et mélancolique s’abandonne à sa chanson intérieure. Parfois cette âme, d’une séduction naïve et subtile, rappelle celle de Mozart ; mais la fermeté religieuse de Bach vient toujours dominer, diriger l’harmonieuse rêverie. — Même les pages où le sentiment dramatique est le plus intense sont de petites symphonies, comme le Miracle dans la Transfiguration, ou la Maladie de Lazare. Il y a dans ce dernier morceau une profondeur de souffrance émouvante. Certainement, la douleur ne va pas plus avant chez Bach ; et c’est la même sérénité dans le désespoir.

Et quelle joie à la fin de ces actes de foi, quand Jésus a guéri le possédé, ou que Lazare rouvre les yeux à la lumière ! Le cœur d’une foule déborde en actions de grâces enfantines. Cela semble d’abord d’expression un peu vulgaire ; mais n’est-ce pas ainsi qu’est la joie de Beethoven, la joie de Mozart, la joie de Bach, la joie de tous les grands artistes, qui, leurs soucis jetés, savent