plus fort, le plus constant, le plus torturant, fut un besoin maladif de tendresse : — « L’inexorable besoin de tendresse qui me tue[1] »… Aimer, aimer, être aimé : il donnerait tout le reste pour cela. Mais son amour est celui d’un adolescent, incapable de voir l’être aimé comme il est, incapable de se voir soi-même. Rien de l’énergique et lucide passion de l’homme instruit par la vie, qui voit l’objet de sa passion sans illusions, avec ses défauts, et au besoin ses vices, et qui l’aime pour son être même. Il aime l’amour, il aime des rêves, des fantômes sentimentaux ; il en est un lui-même. Jusqu’à son dernier jour, il reste « un pauvre enfant de douze ans, brisé par un amour au-dessus de ses forces[2] ». — Remarquez combien cet homme, qui vécut une vie si libre, avec de multiples aventures, a toujours exprimé chastement la passion. Quelle pureté virginale dans ses immortelles pages d’amour, les duos des Troyens, ou la « nuit sereine » de Roméo et Juliette ! Comparez cette tendresse virgilienne aux fureurs charnelles de Wagner ! — Est-ce à dire qu’il n’aima pas autant ? Sa vie ne fut qu’amour et torture d’amour ; et la phrase désolée de l’introduction de la Symphonie fantastique, dont M. Julien Tiersot, dans un beau livre récent[3], a pu identifier le thème avec une romance, composée à douze ans, quand Berlioz aimait une jeune fille de dix-huit ans, « aux grands yeux et aux brodequins roses », Estelle, Stella montis, Stella matutina, — cette phrase, une des plus poignantes qu’il ait jamais écrites, pourrait servir de devise à cette vie dévorée de tendresse et de mélancolie, condamnée à une solitude irrémédiable, à « cet arrachement du cœur,
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BERLIOZ
