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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

vapeur », disait-il lui-même. En septembre 1897, il se jeta dans la composition de Manuel Venegas. Nul repos. À peine le temps de prendre la nourriture indispensable. En quatorze jours, il écrivit cinquante pages de la partition pour piano, — tous les motifs pour l’ensemble de l’œuvre, et la moitié du premier acte.

Alors, la folie vint. Le 20 septembre 1897, il fut terrassé, en plein travail, au milieu du grand récit de Manuel Venegas, au premier acte.

Il fut conduit dans la maison de santé du docteur Svetlin, à Vienne, et il y resta jusqu’en janvier 1898. Par bonheur, il avait trouvé des amitiés dévouées, qui prirent soin de lui, suppléant à l’indifférence générale. Ce n’était pas ce qu’il avait gagné lui-même qui eût pu lui permettre de mourir en paix. Quand l’éditeur Schott lui avait envoyé, en octobre 1895, ses honoraires pour les éditions des Lieder de Mörike, de Gœthe, d’Eichendorff, de Keller, des poésies espagnoles, et du premier volume des poésies italiennes, leur total s’élevait, pour cinq ans, à 86 marks 35 pfennigs ! Et Schott îijoutait tranquillement qu’il n’eût pas compté sur un résultat aussi favorable. Ce furent donc les amis de Wolf, et surtout Hugo Faisst, qui, après lui avoir permis, par leurs générosités discrètes, le plus souvent cachées, de ne pas succomber à la misère, épargnèrent à sa fin l’horreur de l’abandon dans le dénuement total.

Il avait recouvré la raison. On lui fit faire un voyage à Trieste et dans le Veneto, en février 1898, pour achever sa guérison, et pour l’empêcher de penser au travail. Précautions superflues.

Il écrit à Hugo Faisst :


Tu n’as pas besoin de te faire des soucis et de craindre que je ne me surmène. Un vrai dégoût du travail s’est emparé de moi, et il me semble que je ne pourrai jamais