…De composer, je n’ai plus la moindre idée ! Dieu sait comment cela finirai Priez pour ma pauvre âme[1] !
…Depuis quatre mois, je souffre d’un marasme d’esprit qui me donne, très sérieusement, la pensée de fuir ce monde pour toujours… Seul doit vivre qui véritablement vit. Je suis depuis longtemps déjà un mort. Si c’était seulement une mort apparente ! Mais je suis mort et enterré ; la force de gouverner mon corps me prouve seule que je vis, que je semble vivre. Puisse la matière suivre bientôt l’esprit qui s’en est allé ! C’est mon intime, c’est mon unique vœu. Depuis quinze jours, j’habite à Traunkirchen, la perle du Traunsee… Tous les agréments que peut souhaiter un homme sont réunis pour me préparer un heureux sort[2]… Le repos, la solitude, la plus belle nature, l’air le plus rafraîchissant. Bref, tout ce qui peut être au gré d’un ermite de ma sorte. Et pourtant, pourtant, mon ami, je suis la plus misérable créature de cette terre. Tout respire autour de moi le bonheur, et la paix, tout s’agite, et palpite, et fait ce qu’il doit faire… Seul, moi, ô Dieu !… Seul, je vis comme une bête sourde et stupide. À peine si la lecture me distrait encore un peu ! Dans mon désespoir, je m’y jette. Pour la composition, c’est fini ; je ne peux même plus me figurer ce que c’est qu’une harmonie et une mélodie, et je commence presque à douter que les compositions qui portent mon nom soient vraiment de moi. Bon Dieul à quoi bon tout ce bruit,… à quoi bon ces magnifiques projets, si c’était pour en arriver à cette misère !…
Le ciel donne à chacun un génie tout entier, ou pas de génie du tout. Venfer m’a donné tout à demi.
Combien vrai ! oh ! combien vrai ! Malheureux I Dans la fleur de tes ans, tu es allé en enfer, et tu as jeté dans les gueules malfaisantes du destin son présent illusoire, et toi-même avec ! Ô Kleist[3] !…
Soudain, à Döbling, le 29 novembre 1891, la source musicale semble se rouvrir en Wolf : il écrit 15 Lieder italiens de suite, quelquefois plusieurs par jour. En