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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

Il avait vingt-sept ans, et n’avait encore rien publié. 1887-1888 furent les années décisives de sa vie. En 1887, il perdit son père qu’il aimait tant ; et cet événement qui le bouleversa fut pour lui, comme tant d’autres malheurs, une source d’énergie. La même année, un généreux ami, Eckstein, lui fît éditer ses premiers recueils de Lieder. Wolf était jusque-là étouffé. Cette publication le ressuscita. Ce fut un déchaînement de génie. Établi à Perchtoldsdorf, près de Vienne, en février 1888, dans une tranquillité absolue, il écrivit en trois mois 53 Lieder sur des poésies d’Eduard Môrike, ce pasteur-poète de Souabe, mort en 1875, qui, incompris ou raillé de son vivant, a trouvé maintenant en Allemagne une gloire si [)opulaire. Wolf composa ces œuvres dans une exaltation d’allégresse et d’effroi, devant la soudaine révélation de sa force créatrice.


Il est maintenant sept heures du soir, et je suis aussi heureux, heureux, que le plus heureux des rois. Encore un nouveau Lied ! Mon cœur, si tu l’entendais !… le diable t’emporte de plaisir I…

Encore deux nouveaux Lieder ! Il y en a un qui sonne si horriblement étrange que cela me fait peur. Rien de pareil n’existait encore. Dieu assiste les pauvres gens, qui l’entendront un jour !…

Si vous entendez le dernier Lied que je viens de faire, vous ne pouvez plus avoir qu’un désir dans l’âme : mourir… Votre heureux, heureux Wolf[1].


À peine avait-il achevé les Mörike-Lieder, qu’il commençait une série de Lieder sur les poésies de Gœthe. En trois mois (décembre 1888 — février 1889), il écrivait

  1. Lettres au docteur Heinrich Werner.