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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

d’un voile de mélancolie et de langueur[1]. » Une crinière de cheveux, « un immense parapluie de cheveux, surplombant en auvent mobile au-dessus d’un bec d’oiseau de proie[2] ». Un large front, déjà sillonné de rides à trente ans[3]. La bouche grande et fine, aux lèvres serrées, froncées au coin d’un pli sévère. Le menton saillant. Une voix assez grave[4]. « Une conversation inégale, brusque, brisée, emportée, quelquefois expansive, plus souvent retenue et rude[5]. » — De taille moyenne, svelte, bien proportionné, paraissant beaucoup plus grand assis[6]. Maigre, anguleux, toujours en mouvement, ayant gardé de son origine dauphinoise un goût d’alpiniste, une passion de marches, d’ascensions, de vagabondages, qu’il conserve jusqu’à soixante-cinq ans[7]. Une santé de fer, qu’il ruine avec ses privations et ses extravagances, ses courses sous la pluie, ses sommeils en plein air, et jusque dans la neige[8].

Dans ce corps de montagnard, robuste, sec, et endurant, une âme brûlante et débile, dont le sentiment le

  1. Joseph d’Ortigue, le Balcon de l’Opéra, 1833.
  2. E. Legouvé, Soixante ans de souvenirs. — Legouvé décrit ici Berlioz, tel qu’il le vit pour la première fois, en 1833.
  3. Joseph d’Ortigue, ibid.
  4. « Un médiocre baryton », dit Berlioz (Mémoires, I, 58) ; — en 1830, dans les rues de Paris, il chante « une partie de basse ». (Mémoires, I, 156). Dans son premier voyage d’Allemagne, le prince d’Hechingen lui fait chanter « la partie de violoncelle » d’une de ses compositions (Mémoires, II, 32).
  5. Joseph d’Ortigue, ibid.
  6. Les meilleurs portraits de Berlioz semblent être la photographie de Pierre Petit, en 1863, qu’il envoya à Mme Estelle Fornier, et qui le représente accoudé, lassé, le front penché, regardant tristement à terre, — et la photographie qu’il a fait reproduire en tête de la première édition des Mémoires et où il est représenté assis, les mains dans ses poches, un peu rejeté en arrière, la tête droite, les yeux fixes et durs, l’expression énergique et sévère (1865).
  7. Il va à pied de Naples à Rome, en ligne droite, par les montagnes. Il court, d’une traite, de Subiaco à Tivoli, etc.
  8. Il y gagna de nombreuses bronchites, et de continuels maux de gorge, sans parler de la névrose intestinale dont il mourut.