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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

forter, il lisait la vie de Hebbel. Il eut un instant le projet de s’en aller en Amérique. Goldschmidt lui procura, en 1881, une place de second Kapellmeister au théâtre de Salzbourg. Il avait là à faire répéter les chœurs des opérettes de Strauss et de Millöcker. Il s’acquittait de son office ponctuellement, mais avec un ennui mortel ; et il manquait de l’autorité nécessaire. Il ne garda pas longtemps ce poste, et revint à Vienne.

Dès 1875, il écrivait de la musique : Lieder, sonates, symphonies, quatuors, etc. Mais déjà les Lieder tenaient la meilleure place. Il composa aussi, en 1883, un poème symphonique sur la Penthésilée de son cher Kleist.

En 1884, il réussit à avoir une place de critique musical. Dans quel journal ! Le Salonblatt, une feuille mondaine, faite d’articles de sport et de nouvelles de salon ! Cela semblait une gageure d’y faire entrer ce petit sauvage. Ses articles, de 1884 à 1887, sont pleins de vie, d’humour ; il y défend les grands classiques, — Gluck, Mozart, Beethoven, — et Wagner ; il y défend Berlioz ; il fustige les Italiens modernes, dont le succès à Vienne était scandaleux ; il rompt des lances pour Bruckner, et il commence une campagne audacieuse contre Brahms. Il n’était pas hostile, de parti pris, à Brahms ; il goûtait certaines de ses œuvres, spécialement sa musique de chambre ; mais il critiquait ses symphonies, il était blessé par les négligences continuelles de sa déclamation dans ses Lieder, et, en général, il ne pouvait souffrir son manque d’originalité, de force, de joie, de large et abondante vie. Surtout il frappait en lui le chef du parti opposé haineusement à Wagner, à Bruckner et à tous les novateurs. Car tout ce qu’il y avait à Vienne de rétrograde en musique, tout ce qui, dans la critique, était ennemi de toute liberté et de tout progrès en art, avait rendu à Brahms le détestable service de se grouper autour de lui et de se réclamer de son nom ; et Brahms, très supérieur, comme artiste et