Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

je crois qu’il était question de moi. Je voulus le suivre sur la scène, mais on ne me laissa pas passer.

Je l’attendais souvent à l’Hôtel Impérial : je fis à cette occasion la connaissance du directeur de l’hôtel, qui me promit de me protéger auprès de Wagner. Qui fut plus réjoui que moi, quand il me dit que, le samedi suivant, le 11 décembre, après midi, je devais venir le trouver, afin qu’il me présentât à la femme de chambre de madame Cosima et au valet de chambre de Richard Wagner ! Je vins à l’heure dite. La visite à la femme de chambre fut très courte. Je reçus avis de venir le lendemain, dimanche 12 décembre, à 2 heures. J’arrivai à l’heure convenue, mais je trouvai la femme de chambre, le valet de chambre et le directeur de l’hôtel encore à table… Puis j’allai avec la femme de chambre à l’appartement du maître, où j’attendis environ un quart d’heure, jusqu’à ce que le maître vint. Enfin Wagner parut, en compagnie de Cosima et de Goldmark. Je saluai Cosima très respectueusement, mais elle ne me jugea pas digne sans doute de la peine de m’honorer seulement d’un regard… Wagner était allé dans sa chambre sans faire attention à moi, quand la femme de chambre lui dit, sur un ton de prière :

— Ah ! monsieur Wagner, un jeune artiste, qui depuis si longtemps déjà vous attendait, désire vous parler.

Il sortit de chez lui, me regarda, et dit :

— Je vous ai déjà vu une fois, je crois. Vous êtes…

Vraisemblablement, il voulait dire : « Vous êtes un fou ».

Il passa devant moi, et m’ouvrit la porte du salon de réception, où règne un luxe vraiment royal. Au milieu, est un lit de repos, tout de velours et de soie. Wagner lui-même était enveloppé dans un long manteau de velours, bordé de fourrure.

Quand j’entrai, il me demanda ce que je désirais…[1].

Je lui dis : « Hautement vénéré maître ! Depuis longtemps, je formais le désir d’entendre un jugement sur mes compositions, et il me serait… »

Ici, le maître m’interrompit et dit :

— Mon cher enfant, je ne puis rendre aucun jugement

  1. Ici, Hugo Wolf pour piquer la curiosité de ses parents, interrompt son récit, et met : La suite au prochain numéro. Il reprend dans une autre lettre.