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HUGO WOLF.

autour de lui les forces jeunes et originales contre l’art officiel de son temps.

Mais, de toutes ces influences, la plus profonde fut celle de Wagner. Wagner vint diriger à Vienne, en 1875, son Tannhäuser et son Lohengrin : il y eut alors, parmi les jeunes gens, une fièvre d’enthousiasme, pareille à celle qu’un siècle avant avait causée Werther. Wolf vit Wagner. Comment ? Il le raconte lui-même dans ses lettres à ses parents. Je donne son récit textuellement. Il fait sourire, il fait aimer cette ivresse de dévouement qui est chez la jeunesse ; il fait sentir combien l’homme qui inspire cet amour et qui pourrait faire tant de bien par un peu de sympathie est coupable de ne pas le faire, surtout quand il a passé, comme Wagner, par les mêmes périodes de solitude, et quand il a souffert de ne point trouver de secours[1].


Je suis allé, devinez chez qui ?… chez maître Richard Wagner ! Je vous raconterai tout maintenant, comme c’est arrivé. Je vous transcris exactement les mots que j’ai écrits sur mon calepin :

Samedi 9 décembre, à 10 heures et demie, je vis pour la seconde fois Richard Wagner, à l’Hôtel Impérial, où je me tins une demi-heure sur l’escalier, attendant son arrivée. (Je savais que, ce jour là, il dirigerait la dernière répétition de son Lohengrin.) Enfin, le maître Richard descendit du second étage, et je le saluai très respectueusement, lorsqu’il était encore assez loin de moi. Il me remercia très amicalement. Quand il approcha de la porte, je me précipitai dessus et je la lui ouvris : sur quoi, il me regarda fixement, quelques secondes, puis alla à la répétition de l’Opéra. Je courus aussi vite que je pouvais, et j’arrivai à l’Opéra plus tôt que Richard Wagner en fiacre. Je le saluai de nouveau, et je voulus lui ouvrir la porte de sa voiture ; mais comme je ne pus y parvenir, le cocher sauta de son siège, et lui ouvrit. Wagner dit quelque chose au cocher :

  1. Il ne faut pas oublier que la lettre qu’on va lire est écrite par un enfant de quinze ans.