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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

le vieux Prométhée, enchaîné à son misérable corps, conserva son énergie de fer, que rien ne put entamer. Mourant, son dernier geste était un geste de révolte : agonisant au milieu d’un orage, il se dressait sur son lit et montrait le poing au ciel. Ainsi il est tombé, frappé en plein combat, d’un seul coup, tout entier.

Mais que dire de ceux qui meurent peu à peu, qui se survivent à eux-mêmes, qui assistent lentement à la ruine, pièce par pièce, de leur âme !

Ainsi fut Hugo Wolf, à qui son tragique destin assure une place à part dans l’Enfer des grands musiciens[1].

Il était né à Windischgraz, en Styrie, le 13 mars 1860. Il était le quatrième fils d’un corroyeur, d’un corroyeur musicien : — tels le vieux Veit Bach, boulanger musicien, ou le père de Haydn, charron et musicien. — Philipp Wolf, le corroyeur, jouait du violon, de la guitare, du piano, et avait organisé chez lui un petit quintette, où il tenait le premier violon ; Hugo, le second violon ; un frère de Hugo, le violoncelle ; un oncle, le cor, et un ami, l’alto. Le goût musical du pays n’était pas proprement allemand. Wolf était catholique : il ne fut pas formé, comme tant de musiciens allemands, par les livres de chorals. De plus, on aimait et on jouait en Styrie les vieux opéras italiens : Rossini, Bellini, Donizetti. Wolf

  1. Une quantité d’ouvrages ont été publiés en Allemagne sur Hugo Wolf, depuis sa mort. Le principal est la grande biographie de M. Ernst Decsey : Hugo Wolf (Berlin, 1903-4). Je me suis beaucoup servi de ce livre, qui est œuvre à la fois de science et d’amour. J’ai consulté aussi l’excellente petite brochure de M. Paul Müller, Hugo Wolf (Moderne essays, Berlin, 1904), et les recueils de lettres de Wolf, en particulier les lettres à Oscar Grobe, à Emil Kaufmann, et à Hugo Faisst.