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HUGO WOLF


Plus on pénètre dans l’histoire des grands artistes, plus on est frappé de la quantité de douleur que renferme leur vie. Non seulement ils ont été soumis aux épreuves et aux déceptions communes, qui frappent plus cruellement leur sensibilité plus vive ; mais leur génie, qui leur assure sur leurs contemporains une avance de vingt, trente, cinquante ans, — plusieurs siècles, souvent, — en faisant le désert autour d’eux, les condamne à des efforts désespérés, non pas même pour vaincre, mais pour vivre.

À cette lutte sans fin il est rare que ces natures, plus délicates que les autres, puissent résister longtemps ; et la maladie, la misère, une fin prématurée ont raison des plus beaux génies, des mieux faits pour être heureux : d’un Mozart, d’un Schubert, d’un Weber. Heureux, malgré tout, quand ils ont conservé, comme ceux-là, jusqu’au bout, dans un corps ruiné par les fatigues et par les privations, la pleine santé de l’âme et la joie de créer, qui illumine la nuit où ils se débattent ! Mais il est un pire destin ; et il s’en faut de beaucoup qu’un Beethoven, pauvre, déçu dans ses affections, muré en lui-même, ait été le plus malheureux des hommes. Rien ne lui restait que lui-même ; mais du moins il s’appartenait, il régnait sur son monde intérieur ; et quel empire fut jamais comparable à cette immense pensée, ce vaste ciel, où passent des tempêtes ! Jusqu’à son dernier jour,