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BERLIOZ

Bavière fut fasciné, avant de connaître la musique de Wagner. Elles ont été, pour bien d’autres, la clef de cette musique. Je me souviens d’avoir subi moi-même la domination de la pensée wagnérienne, quand l’art wagnérien me restait encore à demi obscur. Et lorsqu’il m’arrivait de ne pas bien comprendre une œuvre, ma confiance n’en était pas ébranlée. J’étais sûr qu’un génie dont la pensée souveraine m’avait convaincu ne pouvait se tromper, et que si sa musique m’échappait, c’était moi qui avais tort. Wagner a été véritablement son meilleur ami à lui-même, son plus solide champion, le guide qui vous conduit par la main au travers de la forêt touffue de son œuvre barbare et raffinée.

Or, non seulement ce secours vous manque chez Berlioz, mais Berlioz est le premier à vous égarer, à s’égarer avec vous. Pour pénétrer son génie, vous devez le saisir, non seulement sans son secours, mais presque malgré lui : car il se trahit constamment lui-même. — Et la raison, comme je vais tâcher de le montrer, c’est qu’il était un des génies les plus puissants qui aient jamais été en musique, au service du caractère le plus faible.

Tout trompe en lui, jusqu’à son physique. Qui ne le voit d’après les portraits et l’image légendaire qu’on s’est faite de lui, comme un brun Méridional, aux cheveux très noirs, aux yeux ardents ? — Il était très blond, et il avait les yeux bleus[1]. « Des yeux enfoncés et périmants, qui parfois, dit Joseph d’Ortigue, se couvrent

  1. « J’ai été blond », dit Berlioz à Bülow (Correspondance inédite, 1858). « Une forêt de longs cheveux roux », écrit-il dans ses Mémoires (I, 165). « Blond ardent », dit Reyer. — Pour la nuance des yeux, je m’appuie sur le témoignage de Mme Cbapot, nièce de Berlioz.