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RICHARD STRAUSS.

Comme le Vainqueur de Michel-Ange, elle a posé son genou sur l’échine du captif ; elle semble près de l’achever. Brusquement, elle s’arrête, elle hésite, elle regarde d’un autre côté, les yeux distraits, incertains, la bouche dégoûtée, saisie d’un morne ennui.

Ainsi m’apparaît jusqu’à présent l’œuvre de Richard Strauss. Guntram tue le duc Robert et laisse aussitôt tomber son épée. Le rire frénétique de Zarathustrâ se termine par un aveu d’impuissance découragée. La passion délirante de Don Juan sombre dans le néant. Don Quichotte, mourant, renie ses illusions. Et le Héros lui-même se résigne à l’inutilité de son œuvre, dans l’oubli que lui verse la nature indifférente. — Nietzsche, parlant des artistes de notre temps, sourit de « ces Tantales de la volonté, ennemis des lois et révoltés, tous venant enfin se briser et s’écrouler aux pieds de la croix du Christ ». — Que ce soit la Croix ou le Néant, tous ces héros abdiquent, succombent au dégoût, au désespoir, ou à une résignation plus triste que le désespoir. Ce n’était pas ainsi que Beethoven refoulait ses tristesses. Les sombres adagios pleurent au milieu des Symphonies ; mais la joie, le triomphe, sont au terme. Son œuvre est le triomphe du Héros vaincu. Celle de Strauss est la défaite du Héros vainqueur. — Cette incertitude de la volonté s’analyserait plus clairement encore dans la littérature allemande contemporaine, en particulier chez l’auteur de la Cloche engloutie. Mais elle est plus frappante chez Strauss, précisément parce qu’il est plus héroïque. Tout cet étalage de volonté surhumaine, pour aboutir au renoncement, au : « Je ne veux plus ! »

C’est ici le ver rongeur de la pensée allemande, — je parle de l’élite qui éclaire le présent et devance l’avenir.


    l’Europe, en est arrivé, en guise de conclusion testamentaire, à l’abdication. » — Nietzsche, Essai d’une critique de soi-même, 1886.