et s’indigne de la bassesse du monde et des obstacles qu’il rencontre. Le dédain grandit ; il devient sarcastique (Till Eulenspiegel) ; il s’exaspère avec les années de lutte, et, de plus en plus âpre, se développe l’héroïsme méprisant. Comme son rire cingle et fouaille dans Zarathustra ! Comme sa volonté broie et sabre dans Heldenleben Il a pris conscience de sa force par la victoire : maintenant, son orgueil ne connaît plus de limites ; il s’exalte, il ne distingue plus la réalité de son rêve démesuré, comme le peuple qu’il reflète. Il y a des germes morbides dans l’Allemagne d’aujourd’hui : une folie d’orgueil, une croyance en soi, et un mépris des autres qui rappellent la France du xviie siècle. Dem Deutschen gehört die Welt (À l’Allemand appartient le monde), disent tranquillement les gravures étalées aux vitrines de Berlin. — Arrivé à ce point, l’esprit commence à délirer. — Tout génie, si l’on veut, délire ; mais le délire d’un Beethoven se concentre en lui-même et crée pour sa propre joie. Celui de beaucoup d’artistes allemands contemporains est agressif ; il a un caractère d’antagonisme destructeur. — L’idéaliste à qui « appartient le monde » est facilement sujet au vertige. Il était fait pour régner sur son monde intérieur. Le tourbillon des images extérieures qu’il est appelé à gouverner l’affole. Il en vient à divaguer comme un César. À peine parvenue à l’empire du monde, l’Allemagne a trouvé la voix de Nietzsche et de ses artistes hallucinés du Deutsches Theater et de la Sécession. Voici maintenant la grandiose musique de Richard Strauss.
Où vont toutes ces fureurs ? À quoi donc aspire cet héroïsme ? — Cette volonté âpre et tendue, à peine arrivée au but, ou même avant, défaille. Elle ne sait que faire de sa victoire. Elle la dédaigne, n’y croit plus, ou s’en lasse[1].
- ↑ « L’esprit allemand qui, il y a peu de temps encore, avait possédé la volonté de dominer l’Europe, la force de diriger