la terre et bondir les cœurs, ces remous de tempête, ces escalades de ville, cette marée tumultueuse, que mène une volonté de fer ? — la plus admirable bataille qu’on ait jamais peinte en musique !… À la première exécution, en Allemagne, j’ai vu des gens frémir en l’entendant, se lever brusquement, faire des gestes inconscients et violents. Moi-même, j’ai senti l’étrange ivresse, le vertige de cet océan soulevé ; et j’ai pensé que, pour la première fois depuis trente ans, les Allemands avaient trouvé le poète de la Victoire. — Heldenleben serait de tous points un des chefs-d’œuvre de la musique, si une erreur littéraire ne venait couper net l’élan des pages les plus passionnées, à l’apogée du mouvement, pour suivre le programme. On peut trouver aussi un peu de froideur, de fatigue peut-être, à la fin. Le héros vainqueur s’aperçoit qu’il a vaincu en vain : la bassesse et la sottise des hommes sont restées les mêmes. Il dompte sa colère, et se résigne dédaigneusement. Il se retire dans le repos de la nature. Sa force créatrice se répand en des œuvres d’imagination ; et ici, Richard Strauss, par une étrange audace (qu’autorise seul le génie de son Heldenleben), représente ces œuvres par des réminiscences de ses propres poèmes : Don Juan, Macbeth, Tod und Verklärung, Till, Zarathustrâ, Don Quixote, Guntram, ses Lieder même, s’assimilant ainsi au héros qu’il a chanté. — Parfois les tempêtes évoquent à son esprit le souvenir de ses combats ; mais il se rappelle aussi ses heures d’amour et de joie ; et son âme s’apaise. Alors la musique sereine se déroule et monte dans son calme puissant, jusqu’à un accord triomphal, qui pose comme une couronne de gloire sur le front du héros.
Nul doute que la pensée de Beethoven n’ait souvent inspiré, stimulé, guidé celle de Strauss. On sent dans la tonalité du premier morceau (en mi bémol), dans le mouvement général, je ne sais quel reflet de la première