pièces sa matière comique et dramatique. À mon avis, Don Quichotte, qui est un tour de force, un exercice étonnant où Strauss a assoupli et enrichi son style, marque un progrès seulement pour la technique du musicien, mais un pas en arrière pour son esprit, qui semble adopter là les conceptions décadentes de l’art-jouet, l’art-bibelot, fait pour une société futile et raffinée.
Avec Heldenleben (Vie de Héros), op. 40[1], il se relève d’un coup d’aile, et atteint jusqu’aux cimes. Ici, point de texte étranger, que la musique s’étudie à illustrer ou à transcrire. Une grande passion, une volonté héroïque qui se développe à travers toute l’œuvre, brisant tous les obstacles. Sans doute, Strauss s’est tracé un programme ; mais il me dit lui-même : « Vous n’avez pas besoin de le lire. Il suffit de savoir qu’il y a là un héros aux prises avec ses ennemis. » Je ne sais jusqu’à quel point cela est exact, et s’il ne resterait pas quelques obscurités pour celui qui suivrait sans texte ; mais ce mot de l’auteur semble prouver qu’il a compris les dangers de la symphonie littéraire, et qu’il se rapproche de la musique pure.
Heldenleben se divise en six chapitres : le héros, les adversaires du héros, la compagne du héros, le champ de bataille, les travaux pacifiques du héros, sa retraite, et l’achèvement idéal de son âme. C’est une œuvre extraordinaire, enivrée d’héroïsme, colossale, baroque, triviale, sublime. Un héros homérique s’y débat au milieu des ricanements de la foule stupide, troupeau d’oies criardes et boiteuses. Le violon solo exprime en une sorte de concerto les séductions, les coquetteries, les perversités décadentes de la femme. Les stridentes trompettes sonnent le combat ; et comment rendre alors cette effroyable charge de cavalerie, qui fait trembler
- ↑ Terminé en décembre 1898. Exécuté, pour la première fois, le 3 mars 1899, à Francfort-sur-le-Mein. — Édité chez Leuckart, Leipzig.