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RICHARD STRAUSS.

vains, auxquels il a cru, et qui se sont dissipés à la lumière de la vie. Il ne renie pas ses serments d’autrefois ; mais il n’est plus le même homme que celui qui les jura. Quand il était sans expérience, il a pu croire que l’homme devait être soumis à des règles, que la vie devait être maîtrisée par des lois. Une heure l’a éclairé. Maintenant il est libre et seul, seul avec lui-même. « Seul je puis apaiser ma souffrance. Seul je puis expier mon crime. Seule ma loi intérieure peut diriger ma vie. Par moi seul, mon Dieu me parle. À moi seul, mon Dieu parle. Ewig einsam. » C’est le réveil orgueilleux de l’individualisme, le pessimisme puissant de l’Uebennensch. Un tel sentiment donne à la négation même, au renoncement, un caractère d’action : c’est encore là une affirmation violente de la volonté.

J’ai insisté un peu longuement sur ce drame, à cause de sa réelle valeur de pensée, et surtout de son intérêt en quelque sorte autobiographique. Désormais l’esprit de Strauss est formé. Les circonstances de la vie le développeront, mais sans y apporter de changement capital. — Guntram fut la cause d’amères déceptions pour son auteur. Il ne parvint pas à le faire représenter à Munich. L’orchestre et les chanteurs se révoltèrent contre une musique qu’ils déclaraient injouable. On dit même qu’ils se firent donner par un critique éminent, et qu’ils apportèrent à Strauss, un certificat en règle attestant que Guntram n’était pas fait pour être chanté. La principale difficulté était l’étendue du rôle principal, qui remplit à lui seul de ses rêveries et de ses discours la valeur d’un acte et demi. Tel de ses monologues, comme le chant du second acte, dure une demi-heure de suite. — Guntram n’en fut pas moins représenté à Weimar, le 16 mai 1894 ; — et peu après, Strauss épousait Freihild, Pauline de Ahna, qui a créé Elisabeth (de Tannhaüser) à Bayreuth, et qui s’est depuis consacrée à l’interprétation des Lieder de son mari.