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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

au désert, dont l’âme serait parente des palmiers, et qui saurait demeurer et se mouvoir parmi les grands fauves, beaux et solitaires ; — une musique dont le charme singulier consisterait à ne rien savoir ni du bien ni du mal. De temps en temps seulement passerait sur elle une nostalgie de matelot, des ombres dorées et de molles faiblesses ; elle verrait fuir vers elle, venues des grands lointains, les mille teintes du couchant d’un monde moral devenu presque incompréhensible, et serait assez hospitalière et assez profonde pour recevoir ces fugitifs attardés. » — Mais toujours le Nord, la mélancolie du Nord, et « toutes les tristesses de la populace », les angoisses morales, la pensée de la mort, la tyrannie de la vie, viennent peser de nouveau sur cette âme affamée de lumière, et l’obliger aux méditations fiévreuses et aux âpres combats. Et, sans doute, il est mieux qu’il en soit ainsi.

Richard Strauss est à la fois un poète et un musicien. Ces deux natures coexistent en lui, et chacune tend à dominer l’autre. L’équilibre est souvent rompu ; mais quand la volonté réussit à le maintenir, l’union de ces deux forces, lancées vers le même but, produit des effets d’une intensité qu’on ne connaissait plus depuis Wagner. L’une et l’autre ont leur source dans une pensée héroïque, que j’estime plus rare encore que le talent poétique ou musical. Il y a d’autres grands musiciens en Europe ; mais celui-ci est de plus un créateur de héros.

Qui dit héros, dit drame. Le drame est partout chez Strauss, même dans celles de ses œuvres qui semblent le moins faites pour le contenir : dans certains de ses Lieder, dans sa musique pure. Il éclate dans ses poèmes