Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

sinistre. Les marins refusent de s’exposer pour venir à l’aide des naufragés. Alors l’Étranger monte dans un canot ; et Vita s’y jette avec lui. La rafale redouble. Une lame de fond gigantesque s’abat sur le môle, enveloppant la scène d’une éblouissante lueur verte. Tous reculent effrayés. Puis le silence se fait ; et un vieux marin, ôtant son bonnet de laine, entonne le De Profundis, que la foule reprend…

On voit, par ce résumé, combien l’œuvre est hétérogène. Trois ou quatre mondes absolument différents y sont associés : le réalisme bourgeois des figures du fiancé et de la mère de Vita y voisine avec le symbolisme évangélique de l’Étranger, et avec la féerie de l’émeraude magique et des voix de l’Océan. Cette complexité, très sensible dans le poème, l’est plus encore dans la musique, où s’opère l’union d’arts et de pensées divers : art populaire, art religieux, art wagnérien, art franckiste, avec une note de réalisme familier, qui se rapproche du style bouffe italien, et un sentiment descriptif, qui est personnel. Ce qui ajoute encore à cette impression, c’est la rapidité de l’action, en deux actes très courts. Les transitions sont extrêmement brusques. En un instant, on est transporté du monde vivant dans le monde des idées abstraites, puis de celui-ci dans le monde de la foi, et de ce troisième dans le monde des contes de fées. Cependant l’œuvre est, musicalement, claire. Plus l’esprit de M. d’Indy s’enrichit d’éléments complexes, plus il a le désir de les ramener à l’unité ; tâche difficile, et qui même n’est possible qu’en les réduisant à leur expression la plus simple, à leur essence la plus générale, et, par suite, en les privant de la saveur de leur individualité. M. d’Indy met sur l’enclume des styles et des pensées divers ; il les forge avec vigueur. Il est naturel qu’on y sente, çà et là, la marque du marteau, l’empreinte de la volonté. La volonté fait l’unité dans l’œuvre.