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VINCENT D’INDY.

encore de la réalité. — On nous avait parlé, dès le commencement, d’une émeraude qui brillait au bonnet de l’Étranger. L’émeraude entre à son tour en scène. « Elle brillait jadis à l’avant de la nef qui porta le Ressuscité, l’ami de Jésus notre maître, et sans barre, sans voile, sans rame, aborda sûrement au port des Phocéens. Par cette pierre de miracle, une volonté droite et pure peut s’imposer aux vents et à la mer. » Maintenant que l’Étranger s’est abandonné à la passion, et qu’il a démérité, il n’a plus aucun pouvoir sur le talisman : il le remet à Vita.

Alors commence une vraie scène de féerie. Vita se dresse vers la mer, et l’invoque, dans une incantation aux vocalises étranges et belles : « Ô mer ! Sinistre mer aux colères charmeuses ! Ô mer ! Très douce mer aux caresses mortelles ! Entends-moi ! » Et la mer répond ; elle chante. Des voix se mêlent à l’orchestre dans une symphonie qui grandit et qui gronde. Vita jure qu’elle ne sera qu’à l’Étranger. Elle élève au-dessus de sa tête l’émeraude qui rayonne de lueurs sinistres. — « Reçois, mer, en gage du serment, la pierre sacrée, la sainte émeraude ! Que nul ne puisse plus invoquer sa puissance, que nul n’éprouve plus sa vertu salvatrice ! Mer jalouse, reprends ton bien, dernier présent de la fiancée ! » — « D’un large geste, elle lance l’émeraude dans les flots, qui se colorent soudainement en vert sombre sous le ciel plus noir. La surnaturelle lueur verte va en s’étendant peu à peu jusqu’à la ligne d’horizon, et la mer s’émeut en une houle menaçante.[1] » Aussitôt le chant de la mer reprend, plus violent ; l’orchestre mugit, et la tempête éclate.

Les barques rentrent en hâte. Une d’elles va se briser contre la côte. Le village est accouru pour voir le

  1. Toutes ces citations du drame, dont le style poétique est loin de valoir le style musical, sont extraites de la partition de l’Étranger.