se résoudre à vieillir. Mais, déjà, la musique nous a mis sur nos gardes : nous avons été surpris du ton religieux de l’orchestre, quand parle l’Étranger. Il nous a même semblé reconnaître dans le thème principal une mélodie liturgique. Quelle énigme se cache là ? Ne sommes-nous donc pas dans une campagne de France ? Malgré la chanson populaire, et, de temps en temps, un souffle de la mer qui passe, il règne ici l’atmosphère de l’Église et de César Franck. Qu’est-ce donc que cet Étranger ?
Il le dit au second acte : « Mon nom ? Je n’en ai pas. Je suis Celui qui rêve. Je suis Celui qui aime. Aimant les pauvres et les inconsolés, rêvant le bonheur de tous les hommes frères, j’ai marché à travers bien des mondes. J’ai longtemps navigué, et sur toutes les mers. — Où donc t’avais-je vue avant de te connaître ? Où donc ? demandais-tu. Mais partout ! Dans les lourds soleils d’Orient, dans les blancs océans du pôle… Partout je t’ai trouvée, partout je t’ai aimée, car tu es la pure Beauté, car tu es l’immortel Amour ! »
La phrase musicale s’expose non sans grandeur ; elle est empreinte d’une foi calme et forte. Mais je regrette de me trouver en présence d’une entité, quand je m’intéressais à un homme. Je n’ai jamais compris l’intérêt de ce genre de symbolisme. À moins d’une sublimité d’invention métaphysique ou morale qui n’appartient guère qu’à un Gœthe ou à un Ibsen, je ne vois pas du tout ce que le symbolisme peut ajouter à la vie, et je vois très bien ce qu’il lui enlève. Mais c’est affaire de goût ; et, en tous cas, il n’y a là rien qui doive nous surprendre outre mesure. Ce passage du réalisme au symbolisme est chose à laquelle on ne nous a que trop habitués au théâtre de musique, depuis Wagner.
Mais nous n’en restons pas là ; et voici que nous quittons maintenant l’abstraction symbolique, pour entrer dans un domaine plus extraordinaire, et plus éloigné