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VINCENT D’INDY.

et M. d’Indy tenait le piano. Je me souviendrai toujours de sa respectueuse attitude à l’égard du vieux musicien, de son attention studieuse à suivre ses indications : on eût dit un élève appliqué et docile ; et cela était touchant, de la part d’un jeune maître, consacré déjà par tant d’œuvres : — le Chant de la cloche, Wallenstein, la Symphonie sur un thème montagnard, — et peut-être plus connu, plus populaire alors que César Franck lui-même. Depuis, vingt ans ont passé : je continue de le voir comme je le vis ce soir-là ; et, quoi qu’il arrive maintenant, son image restera toujours pour moi étroitement associée à celle du vieux grand artiste dominant, avec un sourire paternel, cette petite assemblée de fidèles.

Entre tous les traits de la belle nature morale de Franck, le plus remarquable était sa foi : elle devait frapper une époque artistique qui en était encore plus dépourvue que la nôtre. Et, par là, il agit aussi sur certains de ses disciples, les meilleurs, les plus près de son cœur, comme M. d’Indy. La pensée religieuse de ce dernier représente un peu la pensée de son maître. Mais peut-être n’est-ce pas sans la déformer légèrement, à son insu. Je ne sais si Franck était tout à fait semblable à l’image qu’on en trace aujourd’hui. Je ne veux pas apporter ici de souvenirs personnels. Je l’ai assez connu pour entrevoir la beauté lumineuse et candide de son âme, et pour l’aimer. Je l’ai trop peu connu pour oser formuler une opinion sur le secret de sa pensée. Mais de ceux qui eurent le bonheur d’être longtemps admis à son intimité, il s’en faut que les récits le représentent toujours comme un mystique fermé à l’esprit du temps. J’espère qu’un jour, tel d’entre eux, qui fut son ami, se décidera à publier certaines des conversations qu’il avait avec lui, et dont il me faisait part. Ce cœur très croyant était très libre. Sur sa foi religieuse, il ne saurait y avoir doute : c’était la base de sa vie ; mais elle était chez lui bien plus un sentiment