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MUSICIENS D’AUJOURD’HUI.

âme et dans cette œuvre ; elles ne demandent point, pour être comprises, une initiation, comme Wagner : on est leur ami ou leur ennemi, tout d’abord ; et la première impression reste définitive.

C’est bien là le malheur, qu’on croie le connaître à si peu de frais. L’obscurité nuit moins à un grand artiste qu’une apparente clarté. Mieux vaut pour lui s’envelopper de voiles : car, s’il leur doit de rester longtemps incompris, du moins, quand on veut le comprendre, on se donne la peine de chercher le secret de sa pensée. On ne sait pas assez qu’il peut y avoir autant de profondeur et de complexité dans une œuvre au dessin net, au relief puissant, — oui, même parfois dans le clair génie d’un grand Italien de la Renaissance, que dans le demi-jour crépusculaire du Nord, et dans l’âme immense et trouble d’un Rembrandt.

Voici donc un premier malentendu. Mais il y en a bien d’autres, qui nous empêchent de comprendre Berlioz. Pour arriver à lui, il faut percer une muraille de préjugés, d’idées conventionnelles, de pédantisme, de snobisme intellectuel. En vérité, il faut secouer presque toute l’opinion qui a cours aujourd’hui, si l’on veut dégager l’œuvre de la poussière qui s’est accumulée sur elle depuis un demi-siècle.

Avant tout, il faut en finir avec le malentendu wagnérien, qui consiste, soit à opposer Berlioz à Wagner pour l’immoler à l’Odin germanique, soit à les rapprocher de force, — les uns condamnant Berlioz au nom des théories de Wagner, les autres ne pouvant se résoudre à le sacrifier et cherchant à faire de lui un précurseur de Wagner, un frère aîné, dont le rôle fut de frayer la route, d’ébaucher l’œuvre, de préparer la grandeur d’un génie plus complet que le sien. — Rien n’est plus faux, et l’on ne comprendra jamais rien à Berlioz, si l’on ne commence par se libérer de l’hypnotisme de Bayreuth. Quoi que Wagner ait pu apprendre dans les