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Mais cette apothéose, brusquement, s’interrompt. La déception la suit.

« Quelques notes de la musique de ce merveilleux réveil de l’Inde par l’amour ont flotté jusqu’à moi à travers les mers… Dans l’attente de respirer la fluide brise de la liberté nouvelle, je suis revenu plein de joie. Mais ce que j’ai trouvé, en arrivant, m’a abattu. Une atmosphère oppressante pesait sur le pays. Je ne sais quelle pression extérieure semblait pousser chacun et tous à parler sur le même ton, à s’atteler à la même meule. Ce que j’ai entendu partout, c’était que la raison et la culture devaient être mises sous clef ; il n’était plus nécessaire que de s’accrocher à l’obéissance aveugle. Tant il est aisé d’écraser, au nom de la liberté extérieure, la liberté intérieure de l’homme ! »

Nous connaissons cette angoisse et cette protestation. Elles sont de tous les temps. Les derniers esprits libres du monde antique finissant les ont fait entendre, en face du monde chrétien qui venait. En face des marées humaines, que soulève aujourd’hui le flux aveugle d’une foi, sociale ou nationale, nous sentons monter en nous cette opposition. C’est l’éternelle révolte de l’âme libre contre les âges de foi, qu’elle-même a suscités : car la foi — pour une poignée d’élus, infinie liberté — est, pour les peuples qui l’acclament, un esclavage de plus.