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Cet homme l’aide mal. Il est comme elle, un chien aveugle ; il remâche en vain sur le vieux corps de la mère Europe un bout de téton flétri, usé, presque entièrement desséché… Il se débat dans le désert de l’individualisme.

Comment se fait-il ? Ce fut jadis une grande vallée ombreuse, fertile, bien arrosée. Hier encore, quand tout brûlait, parmi les ruines de la guerre, c’était une oasis de l’esprit libre : il y gardait sa source fraîche et ses nuits pures sous les palmiers. À présent, la source est orde et piétinée ; elle est brisée, la ceinture de palmiers ; le sable cingle à travers l’écran crevé ; le ciel est blanc et l’air brûle : le désert a presque tout dévoré…

Parlons cru ! C’est encore faire trop d’honneur à ces lâches que farder d’images leur capitulation. Car il ne s’agit de rien moins. L’individualisme, l’esprit libre, a fait sans bruit, depuis que l’autre guerre est finie, son armée de Metz et son Sedan. Il s’est rendu. Qu’en reste-t-il ? Quelques lambeaux de drapeaux, cachés en poche, que l’on exhibe en petits comités, ou dans des palabres sans danger. Quel est celui qui ose tenir tête à l’État et à ses chiens : l’opinion et la presse ? Ils se disent libres, dans leur jardin gardé à vue ; ils le