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Les deux amants se regardaient, et leurs regards étaient comme la vasque d’une fontaine où se verse l’eau jaillissante. Chacun des deux avait fait le vide, pour recevoir le flot de l’autre. Et noyés de joie, chacun se sentait plein de l’être de l’autre. Pour se retrouver, ils s’étreignaient. Ils se disaient :

— « Je t’ai ! Tu m’as ! Ne me le rends pas ! Je ne te le rends pas… Ah ! que c’est bon d’avoir fait échange ! Et que j’aime la vie, maintenant que la vie, c’est ta vie ! Je l’ai ! Que je saurai bien la garder ! »

Ces deux enfants qui n’avaient eu, jusqu’à présent, que soi tout seul à sauver !… Et ce n’était pas peu ! Par quels combats et à quel prix ils avaient réussi à l’arracher à la destruction de ce monde qui meurt !… Mais était-ce la peine de tant combattre, de tant supporter, tant de renoncements, tant d’avanies et tant de hontes, et, chaque jour, de recommencer, pour ce seul moi, ce moi tout pauvre, ce moi dénué, souillé, brûlant, brisé, courbaturé qui vous possède, qui vous obsède, et que vous n’aimez pas !… Ah ! et maintenant, quel sentiment plus exaltant, plus enivrant, quel afflux de sang, maintenant qu’on se dit : — « Sauver l’autre !… Il est à moi… » — Est-il à moi, ou suis-je à lui ? L’ai-je annexé, ou si c’est lui ? N’y a-t-il pas une duperie de la passion, qui n’avoue pas son égoïsme ? — C’est en tout cas un égoïsme élargi, un individualisme à deux. La porte s’ouvre sur la