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guère plus intact que vous. Il a beaucoup erré. Il errera encore. Je l’ai, pour son malheur, fait de nature troublée ; et si j’ai confiance assez en sa loyauté foncière et en sa volonté, pour croire qu’il atteindra un jour à l’harmonie, ce ne sera pas sans risques, et ce ne sera pas demain… »

— « Je le sais, je le sais ! Et qu’aurais-je à faire de l’harmonie ? Oui, elle lui manque. Dieu merci ! Je l’ai vu, votre fils, nu comme vous me voyez, nu de chair et nu d’âme. Depuis que je l’épie, et dans sa maladie, il n’est rien qu’il ne m’ait livré… Non, il n’est pas sans tache, votre agneau ! Je le sais… S’il l’était, je ne l’aimerais pas autant. Je n’aime pas (ni vous) les agneaux blancs qui bêlent, leur goutte de lait au nez. On n’est pas un homme (vous, moi, lui) — si l’on ne s’est affronté à la vie dans son terrier, et si l’on n’y a laissé des morceaux de sa peau. Il faut, il faut passer par l’ordure et l’épine ! Vous y avez passé, Marc y a passé. Mais il n’y est point resté. Il est sain. Il est franc. Il est vrai dans sa haine. Il est vrai dans l’amour. Il a en lui trop de saine amertume, pour que la pourriture ait pu mordre sur lui… »

— « Il est comme vous. »

Assia s’arrêta net, dans son élan. Elle fixa, effarée, Annette qui la fixait. Les deux femmes se regardèrent en silence. Annette, enfin, ouvrit la bouche. Assia ébaucha un geste, pour l’empêcher de parler.

— « Je me refuse — dit Annette, pesant ses mots, d’un air délibéré — à l’éloigner de vous. »

Assia voulut parler. De la main, Annette lui intima de se taire :

— « Je sais ce que je risque. Je risque, des deux parts. Car j’ai deux devoirs, maintenant, au lieu d’un. Vous. Lui. Je les accepte. J’ai confiance en vous deux. Restez ensemble ! »

Assia, paralysée d’émotion, écoutait sans comprendre… Le sens des mots filtrait, au travers de sa pen-