Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée

— « Notre destin, dit Annette. Celui des âmes qui ont à fournir un long chemin. Je le connais. Celui des femmes qui n’ont pas le droit d’arriver à la mort, avant d’avoir passé par le triple sacrement de l’amour, du désespoir, et de la honte. Parle ! »

Assia parla de sa tiède enfance alanguie dans le nid de la calme vie domestique. Cette épuisante douceur de vie, qui précède si souvent le coup brutal de la fin… Bonté, faiblesse, dissolution — l’arôme de lys des marais.,. Effluves sucrés d’amour sincère, — qui ne coûte rien — pour une imprécise humanité, et de sensuelle indifférence qui se caresse en silence, tandis que le ver de l’esprit ronge, à la branche, le fruit mûr qui va tomber. La force manque pour être méchant. La seule idée de la cruauté ferait tomber en convulsions. On se complaît dans l’atmosphère lourde, molle, chaude, écœurante, des belles pommes qui pourrissent au cellier… On se disait Tolstoyens, et l’on goûtait, d’une langue blasée, Scriabine et les entrechats élastiques de l’androgyne Nijinsky. Mais on acceptait les brutalités annonciatrices de Stravinsky, comme piment… Sans doute, la guerre était venue. Elle était venue là-basLà-bas, c’était si loin ! Comme un décor à l’arrière-plan. Elle aussi était un piment… Et la fillette de quinze ans regardait poindre la fleur de ses seins, et dans son buisson elle écoutait le chant qui s’essaye de l’oiseau d’amour… La pastorale égoïste continuait. À la campagne, où s’étaient retirés les siens, la vie était sans deuils et sans privations. Dans le grand jardin en désordre, plein de framboises, de groseilles et d’herbes folles, les deux enfants, le frère et la sœur, tout en croquant les graines de tournesol, se confiaient leurs expériences, leurs espérances ; ils dégustaient jusqu’à l’écœurement les pirojkis et les poètes, Blok et Balmont. On s’amusait de l’esthétisme, qu’assaisonnaient quelques pincées de théosophie, en cultivant un