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passé, rien du dépôt de l’âme au fond du vase, rien du fond… S’il avait pu l’entendre, il eût répondu :

— « Le fond de toi, je le connais, mieux que toi. Si je ne puis pas faire le compte des jours et des nuits qui ont passé à ta surface, j’ai touché le fond. »

Qui eût pu dire lequel des deux avait raison ? L’éperon de l’amour entre jusqu’au delà de la conscience. Mais il est bien vrai qu’il est aveugle. Il touche, il tient, il ne saurait dire ce qu’il tient, il ne voit rien.

Tl tient pourtant… Quand les jaunes vitres de la chambre s’éclairèrent d’un jour plus jaune encore que d’habitude — la pluie tombait — Assia se pencha sur le jeune compagnon qui s’était enfin endormi, au matin. Elle n’avait point fermé les yeux… Elle regarda ses joues lasses, sa bouche heureuse, son souple corps abandonné, et leurs jambes étaient entrelacées, elle ne pouvait se dégager ; elle pensa :

— « Où est le mien ? Où est le sien ? Nous sommes maintenant emmêlés… »

Et, de lassitude et de volupté, elle avait envie de retomber… Mais elle se raidissait. Elle se disait :

— « Non ! Il ne faut pas ! Qu’a-t-il à faire avec moi ? Et moi, qu’ai-je à faire avec lui ? Que chacun de nous reprenne le sien !… »

Elle s’arracha. C’était dur. Il rouvrit les yeux. De ce regard, elle défaillit presque. Elle se fit violente. Elle lui referma les paupières, sous sa bouche. Elle lui dit :

— « Dors… Je dois sortir un moment ; mais je ne te quitte pas : je t’emporte, et je me laisse… »

Il replongea dans le sommeil, trop anéanti pour répondre. Elle s’échappa. Elle disait vrai : elle emportait, au fond de son cœur, un morceau de lui, incrusté. Il était trop tard pour échapper. Elle alla frapper à la porte de Annette. Elle lui dit :

— « Je vous ai parlé d’un logement libre. Je vais vous le montrer. Sortons ensemble ! »